Trente ans de jeune sculpture à paris avec Denys CHEVALIER au Couvent des Cordeliers.

Quand on disait « Denys », cela signifiait dans le milieu artistiques, de la sculpture surtout, Denys Chevalier. Soupe au lait, cabochard, provocateur, autoritaire, ayant en toute occasion de son franc-parler, mais idéaliste, fidèle en amitié, passionné sans compromissions ni soumissions, il avait toutes les qualités et tous les défauts du critique d’art au temps ou la polémique existait dans la presse et dans les ateliers, ou l’on combattait pour quelqu’un, ou pour quelque chose.

Le temps ou durait encore l’absurde antagonisme abstraction-figuration, ou artiste, critique, marchand (certains, pas tous) cohabitaient dans une sorte de communauté de lutte. Les institutionnels étaient alors, à de rares exemples près, hostiles à l’art contemporain pratiquement absent des musés. Restaient les initiatives privées.

Les salons de la jeune sculpture, crée en 1949, en fut une, et de taille. Celui de la jeune peinture existait déjà, la sculpture alors traitée en parent pauvre, en sortit comme une sorte de fatalité, Pierre Descargues en fut avec Denys le révélateur, mais ce dernier resta son accoucheur et son père nourricier. Cela semble tout simple aujourd’hui mais il fallait alors se battre ; l’époque était fiévreuse, agitée d’initiatives et d’idées contradictoires, exaltée des oppositions à la mode. Denys s’est battu toute sa vie, quand il ne se battait pas il s’ennuyait.

Il a compris très vite que la sculpture était un art majeur, autonome, et que pratiquement exclue des galeries, mal exposée dans les différents salons, il lui fallait un espace propre.
Et qu’après cette première étape ; présentation, promotion, une autre plus vaste à large échelle, devait s’ouvrir à elle : La ville.
C’est pourquoi il demanda aux exposants du salon des œuvres monumentales.

Denys et son comité composé au début d’artistes en majorité « figuratifs » connus, Auricoste, Carton, Germaine Richier, Couturier, Volti, Gilioli, Joseph Rivière, et le grand Arp, n’ont pas misé d’abord sur la sculpture abstraite. Elle vint d’elle-même répondre à l’évolution du salon vers l’appréhension des espaces urbains. Bien des jeunes plasticiens informels qui n’avaient eu jusque-là, que fort peu d’occasions de montrer leur travail, purent s’y manifester.
Pas d’exclusive d’ailleurs, Denys n’a jamais imposé ses gouts, ni ses choix ; sachant qu’il n’était pas un créateur au sens ou il souhaitait que « ses » artistes le fussent, il se réserva le rôle qui convenait le mieux à son tempérament de bagarreur, celui d’animateur. Il le fut avec un engagement fort.
Le salon, dont il confiait l’installation aux seuls exposants, a été sa vie, son laboratoire d’idées, et pourquoi pas son usine a rêves. Qui ne l’a vu déambuler, longue silhouette dégingandée, en ciré jaune, la cigarette aux lèvres, l’œil allumé, gouailleur ou bougonnant, vrai « gueulard » parigot, le cœur généreux et ouvert, au milieu des sculptures du salon, dans les jardins du musée Rodin ou du Palais Royal, place des Vosges ou à Marnes-La vallée, n’a vraiment pas « connu » Denys…

Certains l’ont attaqué – normal dans sa situation – il reste qu’il a aidé les jeunes sculpteurs non seulement en les exposant, mais en leur trouvant du travail, parfois un atelier, en les faisant participer à d’autre manifestations. En écrivant sur eux des articles – il collabora à Art – spectacles, aux lettres françaises, à aujourd’hui, XX ème siècle, Art international etc. – en rédigeant des préfaces ou des monographies. Sa liberté de comportement et d’esprit était telle qu’il crut bon, les circonstances aidant, d’écrire des libelles sans rapport avec l’art particulièrement provocant, voire réactionnaires ou à contrepied des idées établies (par qui ?). Denys était un homme qui ne perdait pas son temps à se surveiller.

L’ouverture de la sculpture monumentale sur la ville, les contactes avec les architectes, les urbanistes et les « décideurs » toutes catégories, donnèrent à Denys un rôle très écouté de conseiller : plusieurs symposiums au Québec, les Panathénées de la sculpture mondiale à Athènes, symposium français de la sculpture monumentale de la Faisanderie du forêt de Sénart, etc.…
Il a également organisé, seul, comme commissaire ou en équipe, de nombreuses expositions en France et à l’étranger…

Dans un souci d’apporter l’œuvre individuelle à l’œuvre collective, le contexte urbain, Denys ne regardait pas la sculpture comme un ajout, mais née en même temps que la ville en union intime avec l’architecte, en équipe avec l’urbaniste. Ainsi s’est-il élevé contre cette tarte à la crème des années 1960-1965 que fut « l’intégration des arts » Qu’est-ce qu’un artiste qui s’intègre ? Le contraire d’un créateur : un décorateur.

Fau-il ajouter que Denys était un homme libre ? Il n’a jamais accepté de subventions de l’Etat, et de celles de la Ville de Paris étaient minimes ; il préférait le mécénat privé d’industriels liés à l’art, à la sculpture surtout. Les exposants au salon payaient une cotisation et la publication du catalogue était financée par la publicité. Pas n’importe laquelle bien entendu.
On a parfois écrit que Denys était un homme mystérieux ; personnellement je le trouve, comme son Salon, transparent et ouvert. Nul ne lui a jamais demandé ses diplômes ou son casier judiciaire, je crois d’ailleurs qu’il n’avait ni les uns, ni l’autre. Il aimait les artistes, se réunir avec eux, manger et boire, parler, échanger des idées. Il a écrit beaucoup, pour vivre mais aussi pour donner des conseils, proposer des analyses ou des ouvertures ; il n’était ni juge, ni bénisseur, estimait la recherche primordiale et appréciait la nouveauté qui rend un artiste irremplaçable dans le domaine qu’il a choisi.
Mais il s’arrêtait aussi sur ceux demeurés, malgré leur talent, faute de chance ou de contacts utiles, en retrait ou carrément oubliés et démunis ; il les encourageait et les aidait.
Denys a su à l’occasion crier à l’injustice, attaquer le dirigisme de l’Etat, s’en prendre au rôle souvent néfaste de l’argent, ou miroir aux alouettes du marché, aux artifices de la mode. Il y avait en lui du croisé ; il nous manque, c’est certain, mais pourrait-il avoir aujourd’hui la possibilité de faire ce qu’il a fait hier ? La disparition du Salon de la jeune sculpture après sa mort est un signe évident.

Lors du décès de son ami Atlan, il écrivit avec une émotion rare chez lui : « Mon Dieu ! Dire qu’il serait si agréable de vivre s’il n’y avait pas la mort… ! Est-il admissible que tant de qualités humaines rares, la générosité, le courage, l’humour, disparaissent sans laisser de traces…L’ami qui me fut si cher, qui le remplacera… ? »
Au revoir Denys…

Texte écrit par Pierre Cabanne en janvier 1995 à l’occasion des « Trente ans de la jeune sculpture à paris avec Denys CHEVALIER » au Couvent des Cordeliers.