Exposition au Musée de Meudon Art et Histoire de la ville de Meudon 1995

Chevauchant son vélo-solex, Denys Chevalier parcourait Paris et sa banlieue pour visiter les ateliers d’artistes.
Se rendant aux expositions, il partait à la découverte de l’œuvre achevée et dans les ateliers à la rencontre du créateur. Pour lui importait non seulement l’œuvre d’art en tant que telle, mais aussi le long et difficile cheminement de l’artiste.
Eclectique dans ses choix, sans préjugés esthétiques, tout en restant cependant profondément attaché à l’art abstrait, il n’avait de cesse de faire connaître de jeunes talents.

Découvreur par passion, il était critique d’art par profession. Bourreau de travail, sa verve s’exerça dans nombre de revues françaises et étrangères telles  » Aujourd ‘hui « ,  » xx ème siècle » , « Jardin des Arts »,  » Graphis « , « Pour l’ Art  » et dans de nombreuses préfaces de catalogues d’expositions.

Des ouvrages plus complets lui permirent de retracer les biographies de Maillol, Picasso, Patkai, Dietrich-Mohr ou Klee. Dans son  » Dictionnaire de la Sculpture Moderne « , il fit le point sur la sculpture de son temps. Sortant du champ de l’art contemporain, il s’intéressa au dessin animé,  » J’aime le dessin animé « , à la  » Métaphysique du strip-tease  » et aux problèmes liant  » L’Art et l’Etat ».

Avec son ami Pierre Descargue, il fonda en 1949  » Le Salon de la Jeune Sculpture  » dont il garda la présidence jusqu’à sa mort en 1978.

En 1949, c’est une conversation entre artistes, à la terrasse du Dôme, qui fut à l’origine de l’idée de fonder un Salon réservé aux jeunes sculpteurs. Y participaient, je crois Volti, Rivière, Gilioli, Gestalder, et peut-être un ou deux autres artistes de leur génération, presque tous anciens élèves de l’atelier Jean Boucher à l’Ecole des Beaux-arts. Plusieurs raisons et considérations les poussaient à envisager la création d’une manifestation annuelle artistique spécialisée.
D’abord le fait que dans les autres salons, leurs œuvres (comme celles de tous leurs autres confrères d’ailleurs) étaient généralement présentées sans grand souci de cohérence de placement, ensuite, corollaire de cette première constatation, que la presse et le public, davantage sollicités par la peinture, ne s’attardaient que rarement devant leurs envois ; enfin que, pour les plus jeunes et les moins connus d’entre eux, ils subissaient l’arbitraire des personnalités appartenant aux générations en place. » écrivait Denys Chevalier en se remémorant les conditions de la création du Salon de la Jeune Sculpture.

Dans la préface du catalogue du premier Salon de la Jeune Sculpture, en 1949, Pierre Descargues résumait les combats à mener:

« – Amener le grand public qui fréquente les salons de peinture à visiter cet autre salon pour y prendre connaissance d’un art jeune, divers et fort riche qu’il n’avait généralement pas eu le désir de regarder dans la dispersion des grandes expositions.
– Tirer les sculpteurs des nouvelles générations de l’isolement où ils se trouvent, leur donner la conscience des affinités qui les lient les uns aux autres, les mettre en rapport avec leur public ».

Cette simple manifestation devint vite un enjeu pour la sculpture contemporaine française. Chaque année, les sculpteurs, le public et les amateurs attendaient ce rendez-vous. Pour certains, c’était l’occasion d’exposer des œuvres nouvelles, pour les autres, le moment privilégié de découvrir les « nouveautés » de l’année.

Denys Chevalier avait, vis à vis des Pouvoirs Publics une profonde méfiance.

Dans l’immédiat, toute démarche du pouvoir dans le sens d’une collaboration ou coopération avec les visionnaires du monde futur, les artistes entre autres ne peut qu’être une tentative déguisée de récupération et donc, sinon une illogique sottise, un acte délibéré de duplicité. »

Il voulut donc que le Salon de la Jeune Sculpture restât libre de toute influence extérieure. Acceptant uniquement une petite subvention de la Ville de Paris, il recherchant de préférence le mécénat privé, comme celui de la Fonderie Susse ou des transports IAT. Le Salon vivait en grande partie des cotisations des membres de l’Association, du dévouement des artistes et de quelques aides financières dues à des insertions publicitaires dans le catalogue.
Le Salon de la Jeune Sculpture se voulait espace d’échange. Il deviendra, en effet, rapidement l’intermédiaire entre un public amateur ou non et l’œuvre d’art. Lieu de confrontation entre artistes de tendances très diverses, cette rencontre se faisait librement, sans contrainte aucune ni pour le visiteur ni pour l’artiste.
Autre originalité, le Salon se déroulait en plein-air, entre mai et juillet. Le plein-air était pour Denys Chevalier une nécessité pour que l’œuvre sculptée devienne autonome, qu’elle trouve un espace à sa convenance. Ainsi, la sculpture monumentale, car les œuvres exposées se devaient d’être d’une taille suffisante pour éviter les vols et les dégradations tant naturelles qu’humaines, pouvait enfin être présentée dans les conditions d’échelle propres à son épanouissement.
Le parcours à travers le Salon n’était jamais imposé. Le visiteur pouvait découvrir, à son rythme et selon son humeur, les sculptures en simple promeneur aux Champs-Elysées , au Palais Royal ou dans les jardins du Luxembourg, de Bagatelle ou de l’Unesco.

L’entrée était libre – cela faisait partie de la conception qu’avait Denys Chevalier de l’intégration de la sculpture à la vie quotidienne de chacun – Le public était libre d’aller et venir, d’aimer ou de détester sans autre guide que son propre jugement.

Trois périodes apparaissent dans l’évolution du Salon.

La première, de 1949 à 1960, laisse une place importante aux œuvres figuratives, qu’elles soient réalistes ou de conception plus moderne. Une période de transition apparaît de 1960 à 1964 durant laquelle les figuratifs essaient de se maintenir face aux abstraits.

Mais, dès 1964, date de la création de la biennale des Formes Humaines née d’une scission à l’intérieur de la Jeune Sculpture, les abstraits « prennent le pouvoir », et le conserveront jusqu’à la disparition du Salon.

Tenir sur ses épaules un Salon pendant près de trente ans, rechercher un lieu et un financement demande une énergie et une force de caractère peu commune. Ses amis sculpteurs se rappellent avec sympathie ses emportements, aussi violents que brefs. Sous l’œil attentif de Denys Chevalier, le comité de sélection se chargeait du choix des œuvres, de la mise en place des sculptures, et de résoudre tous les menus détails que comporte l’organisation d’une telle manifestation.
Denys Chevalier fut rapidement considéré comme une autorité dans le domaine de la sculpture et l’on ne tarda pas à solliciter sa participation à de nombreux jurys internationaux (Air France en 1966 ou Alpha en 1976).

Il fut conseiller technique pour plusieurs symposiums de sculpture en Amérique du Nord et au Canada (1963-1965). En 1967, il devint Secrétaire Général du premier Symposium français de sculpture à Grenoble. En 1971, il organisa le symposium de la Faisanderie dans la forêt de Sénart puis, il devint conseiller technique de l’Etablissement de l’Aménagement de la Ville Nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines de 1974 à 1978. Deux années consécutives, il fut chargé du Symposium de sculpture dans le parc des Coudrays à Saint-Quentin-en-Yvelines. Ces symposiums consistaient à inviter six à sept sculpteurs, reçus sur concours pour travailler deux à trois mois sur des sculptures monumentales. L’artiste offrait à l’organisme invitant l’œuvre d’art achevée qui restait sur place.

Homme de plume, homme d’action, pédagogue et organisateur, tenace, travailleur, désintéressé, Denys Chevalier a laissé chez tous les sculpteurs le souvenir d’un ami, fidèle. Les années ont passé depuis sa mort en 1978, mais nul ne l’a remplacé. Le Salon de la Jeune Sculpture a suivi, pendant quelques années, des chemins différents avant de disparaitre, les temps ont changé. L’aventure du Salon de la Jeune Sculpture restera un moment fort de l’histoire de l’art sculptural de notre temps et Denys Chevalier sera, longtemps encore, vivant dans nos mémoires.

Sandrine TORTERAT

Exposition de la collection Eva et Denys CHEVALIER au musée d’Art et d’Histoire de la ville de Meudon.